Compter tous les canards d’hiver : surveillance des sauvagines et migrants arctiques

Depuis que j’ai commencé à m’intéresser plus sérieusement aux oiseaux, les oiseaux aquatiques m’ont toujours un peu intimidé. Tant de canards à apprendre, si peu de temps, me disais-je ! Jusqu’à ce que je réalise que j’ai toute la vie devant moi pour apprendre à les connaître. Je me suis donc rendu à Saint John pour en apprendre davantage sur les enquêtes relatives aux oiseaux d’eau, en suivant ma collègue Lauren au Recensement des oiseaux aquatiques du port de Saint John. Au cours de mes recherches, j’ai appris que plusieurs des sauvagines (oiseaux aquatiques migrateurs) et de nombreux autres oiseaux qu’on voit ici l’hiver passaient l’été dans l’Arctique. C’est ainsi que j’ai eu la chance de parler à des experts du programme Science dans le Nord à Oiseaux Canada. Ce numéro du Carnet de terrain NB est le résultat de l’aventure hivernale qui m’a permis d’en savoir plus sur nos oiseaux des neiges !

Par Samuel LeGresley, coordinateur des communications

10h12

Jeudi matin, c’est la première fois que je me rends au Parc Naturel Irving. N’ayant pas beaucoup visité Saint-Jean dans ma vie, j’ai vu beaucoup de choses nouvelles ce jour-là. On roule jusqu’au bout de la pointe, sur une grande plage typique de la côte de Fundy. J’ai vu beaucoup de ces plages, puisque je viens de Moncton et que je suis allée à Cap-Enragé plusieurs fois, mais cette tranche de côte est particulièrement belle.

En sortant de la voiture, je remarque immédiatement une île au loin. Lauren me dit que les oiseaux de rivage s’y rendent en été. J’ai ensuite appris qu’elle se nomme Manawagonish et qu’il s’agit d’une réserve naturelle.

À l’arrière-plan de l’île, deux énormes navires se dirigent probablement vers ou depuis le port de Saint-Jean.

Nous observons quelques goélands dans la longue vue et pouvons regarder les navires de plus près en même temps.

Lauren sort un carnet de notes de son sac et commence à faire des marques précises sur le papier. Elle constate que le temps est nuageux et que l’eau est inhabituellement calme. C’est aussi l’heure de la marée basse, qui fait paraître la plage beaucoup plus grande !

Je remarque immédiatement un point noir au loin. Et plouf, il est hors de vue. Ce doit être un canard plongeur en train de se nourrir. Pas si facile à identifier.

Nous nous attardons un peu. Le point noir ne réapparaît pas. Il doit être en train de manger tous les poissons qui vivent là.

10h50

Nous nous rendons à la plage de MacLaren. C’est une belle anse, mais il n’y a pas beaucoup d’oiseaux.

A part quelques canards noirs lointains, le seul « oiseau » que nous voyons à proximité est un oiseau sculpté dans du bois de grève par l’océan.

Un oiseau, certainement non migrateur, en bois de grève.

11h19

Il est temps de prendre un dîner précoce. Une belle matinée, avec seulement quelques oiseaux qui entrent et sortent de l’eau. Cependant, un faible nombre de données est toujours indicateur de quelque chose.

Les Reversing Falls, une manne pour les amateurs de canards

12h30

Le repas de midi est terminé. On arrive sur une falaise, et c’est la première fois que je vois les fameuses Reversing Falls (Chutes réversibles).

On me dit qu’ils sont sur le point de se renverser, donc je demande « Oh, est-ce qu’on peut rester dans le coin ? ». Mais ce n’est pas comme le mascaret de Moncton : « Il faut environ 1 à 2 heures pour que ça se renverse », explique Lauren.

Immédiatement, nous tombons sur une bénévole qui a déjà compté tous les oiseaux pendant sa pause déjeuner. Elle énumère toutes les macreuses (des dizaines !) et les harles (encore plus !) qu’elle a vus.

Il s’agit de migrateurs de l’Arctique, ce qui a suscité mon intérêt lors d’une discussion avec un expert de Birds Canada. Le fait que ces oiseaux viennent de l’Arctique pour échapper au manque de nourriture et/ou à la glace de mer omniprésente, dans de nombreux cas, me fait apprécier le fait que nous puissions les voir.

Alors que nous balayions l’eau du regard, je ne pouvais m’empêcher de me demander ce qui poussait ces oiseaux à quitter l’Arctique chaque année. J’ai appris que la réponse est plus complexe que la simple volonté de se sauver du froid.

Cependant, ils ne viennent pas tous du Grand Nord. L’un des oiseaux les plus impressionnants que nous voyons est le Petit garrot, alors que je lis les cartes des aires de répartition. Il s’agit en fait d’un nicheur boréal, qui ne se rend pas jusqu’à l’Arctique.

Un Petit garrot, un oiseau estivant de la forêt boréale, vu près des Reversing Falls à Saint-Jean, au Nouveau-Brunswick. Crédit photo : Jimmy Dee

Nous voyons quelques garrots à œil d’or, beaucoup de harles et de macreuses noires, et quelques Canards noirs.

Après avoir passé un peu de temps à observer tous les oiseaux qui plongent près des chutes et de l’usine de pâtes et papiers, on range tout dans la voiture, Lauren fait son décompte et nous nous dirigeons vers Five Fathom Hole.

1:20

Nous passons d’une rivière à l’autre : Reversing Falls était à l’embouchure de la Wolastoq, et Five Fathom Hole est notre dernier arrêt, à l’estuaire de la Musquash.

Parmi les bateaux, nous trouvons très peu d’oiseaux, mais mon premier voyage aux chutes a suffi à faire ma journée. En tout, nous avons compté 315 oiseaux, dont 223 rien qu’à Reversing Falls !

La migration hivernale de l’Arctique : plus qu’une simple évasion du froid

L’idée de cet article m’a soudainement frappé alors que je lisais A Naturalist’s Guide to the Arctic (Guide du naturaliste à l’Arctique), un livre publié en 1995 par l’écologiste britannique E. C. Pielou, trouvé au magasin local de livres d’occasion. J’ai remarqué que plusieurs des oiseaux mentionnés dans le livre sont présents au Nouveau-Brunswick en hiver ! Pour commencer mes recherches, j’ai contacté Cléa Frapin, une experte de la faune arctique qui travaille maintenant chez Oiseaux Canada en tant que biologiste du programme Science dans le Nord, puis nous avons eu une longue discussion sur les interactions entre les espèces terrestres de l’Arctique. Dans le cadre de sa maîtrise, elle a construit un modèle permettant de prédire les réseaux trophiques (chaîne alimentaire) de la faune arctique, et les aspects de la saisonnalité qui poussent de nombreux oiseaux aquatiques et oiseaux de proie, entre autres, à se rendre au Nouveau-Brunswick.

Cela m’a ensuite amené à discuter avec Graham Sorenson, gestionnaire du programme Science dans le Nord, également chez Oiseaux Canada, qui m’a expliqué la relation fascinante entre la glace de mer et la disponibilité de la nourriture pour les canards de mer.
C’est grâce à ces discussions que j’ai pu en apprendre plus sur ces sauvagines qui m’intriguaient autant !

La migration de nos visiteurs d’hiver, pas seulement déterminée par la température

Pour de nombreux oiseaux de l’Arctique, la survie dépend de leur capacité à trouver de la nourriture, et les schémas de migration reflètent les changements dans l’abondance des proies, la production de graines et l’état de la glace de mer, plutôt que d’échapper simplement aux températures extrêmes.

« L’observation des oiseaux en hiver est assez amusante car il y a un mélange d’espèces qui sont résidentes ici, comme les mésanges et les geais bleus (…) Ce qui est excitant, c’est que ces espèces ne sont observées qu’en tant que visiteurs hivernaux ». – Graham Sorenson

Un Harfang des neiges. Photo : Frank Branch

L’un des exemples les plus frappants est celui du Harfang des neiges, dont les mouvements de population sont étroitement liés aux cycles des lemmings dans l’Arctique.

« Un très bon été de lemmings dans le nord entraîne une très bonne année de reproduction pour le Harfang des neiges. Parce qu’ils sont plus nombreux, certains s’enfuient vers le sud. (…) Et ce sont souvent les jeunes qui viennent très, très loin au sud. » -Sorenson

Lorsque trop de jeunes harfangs sont nés, certains d’entre eux « débordent » vers le sud dans ce que les ornithologues appellent une année d’irruption.

Bien que des rapaces comme la Buse pattue se déplacent vers le sud à la recherche de proies, leur migration est souvent due à une pénurie de proies plutôt qu’à une explosion démographique, contrairement au Harfang des neiges.

Pour de nombreux oiseaux mangeurs de graines, la disponibilité de la nourriture dans la forêt boréale est le principal déclencheur de la migration. Des espèces comme le Bec-croisé des sapins, le Tarin des pins et le Gros-bec errant resteront dans le nord si les récoltes de cônes sont abondantes, mais lorsque la nourriture se fait rare, ils se déplacent en grand nombre vers le sud.

« Dans des endroits comme le Nouveau-Brunswick où il y a beaucoup de forêts de conifères, nous avons des Gros-becs errants, des Becs-croisés des sapins, des Becs-croisés bifasciés et des Tarins des pins en plus grand nombre, ainsi que certaines espèces de roselins qui sont vraiment impressionnantes à voir. On ne les voit pas forcément tous les hivers ; je pense que ce sont celles que les ornithologues apprécient le plus lors des années à irruption. » – Sorenson

Bec-croisé bifascié. Photo : Brian Stone

Pour les sauvagines, la glace détermine leur lieu d’hivernage

Pour les sauvagines et les canards de mer, la migration est davantage dictée par la couverture de glace que par la température elle-même. Contrairement aux espèces terrestres qui suivent la disponibilité de la nourriture, les canards, les harles et les garrots ont besoin d’eau libre pour survivre.

Des Hareldes kakawis. Photo : Pierre Janin

« Un Harelde kakawi peut encore trouver de la nourriture dans le nord, mais les eaux sont gelées. Ils doivent se rendre suffisamment loin au sud pour trouver des eaux libres où ils peuvent plonger pour trouver de la nourriture. » -Sorenson

Cela signifie que certains oiseaux cessent de migrer lorsqu’ils atteignent les eaux libres de glace, au lieu de poursuivre leur route vers le sud pour se réchauffer. Par exemple, la baie de Fundy reste libre de glace tout au long de l’hiver en raison des fortes marées, ce qui constitue un habitat crucial pour de nombreuses espèces. Les garrots et les hareldes restent dans des endroits comme la baie de Fundy parce que les marées maintiennent l’eau ouverte, même en hiver. C’est une question d’accès à la nourriture.

Certains canards de mer ont tendance à hiverner dans le nord du Nouveau-Brunswick, où les conditions restent favorables.

« Il y a beaucoup de Garrots d’Islande qui hivernent dans le nord du Nouveau-Brunswick, mais peu dans la baie de Fundy. Ils aiment les côtes rocheuses du nord du Nouveau-Brunswick. » -Sorenson

Entre-temps, des oiseaux de rivage comme le Bécasseau violet profitent des vasières de la baie de Fundy, qui restent accessibles en hiver.

« Il y a donc des espèces comme le Bécasseau violet et même le Bécasseau sanderling qui, sur la côte sud de la Nouvelle-Écosse et peut-être sur certaines parties de la côte sud du Nouveau-Brunswick, peuvent passer l’hiver ici parce qu’il y a des vasières ouvertes et des possibilités d’alimentation pour les oiseaux de rivage. Je ne pense pas que ce soit le cas dans le golfe du Saint-Laurent et même sur la côte nord du Nouveau-Brunswick », dit Graham.

Suivre les migrations : Ce que les cartes révèlent

M. Sorenson et d’autres scientifiques utilisent des outils comme eBird pour savoir où les oiseaux migrateurs de l’Arctique et de la région boréale s’installent en hiver. Ces cartes fournissent des informations précieuses sur la manière dont les différentes espèces d’oiseaux réagissent à la fluctuation des sources de nourriture et à l’état des glaces.

Il sort une carte sur le populaire site de science communautaire et me montre comment faire pour voir les données spécifiques par espèce. « Si vous vous intéressez à une espèce comme le Garrot d’Islande, vous pouvez consulter eBird et voir qu’ils restent principalement (près) du nord du Nouveau-Brunswick en ce moment. Les points rouges sur la carte indiquent les observations récentes, et il est clair qu’ils hivernent là-haut ». Des recherches ont montré que sur la côte Est, cet oiseau est généralement un nicheur boréal, mais qu’il peut aller muer à des latitudes plus élevées dans l’Arctique (source).

Sur eBird, le type de données en temps réel fournies par la communauté aide les chercheurs à surveiller les populations d’oiseaux, à comprendre les schémas de migration et à identifier les principales zones d’hivernage.

Le Garrot d’Islande, un visiteur hivernal du nord du Nouveau-Brunswick. Photo : Jim Clifford

Comment participer : Les sciences communautaires pour observer les oiseaux tout au long de l’année

Si vous souhaitez contribuer au suivi des oiseaux migrateurs de l’Arctique ou d’autres oiseaux dans les années à venir, vous pouvez participer à des projets de science communautaires qui fournissent des données précieuses pour les efforts de conservation tout au long de l’année.

eBird est un outil puissant qui permet aux ornithologues d’enregistrer leurs observations et de suivre les déplacements des espèces en temps réel. Vous pouvez l’utiliser pour:

  • Enregistrer vos observations saisonnières d’oiseaux au Nouveau-Brunswick ou ailleurs.
  • Explorer des cartes interactives pour voir où les oiseaux hivernent.
  • Contribuer aux efforts mondiaux de recherche sur la migration des oiseaux.

« Vous pouvez consulter eBird et voir les dernières observations de migrateurs arctiques dans votre région. C’est un outil extraordinaire pour les scientifiques et les ornithologues. » – Graham Sorenson

Commencez avec eBird : ebird.org


2. S’associer aux efforts d’un recensement sur les oiseaux aquatiques

Au Port de Saint-Jean et au Port de Belledune, Nature NB organise des recensements visant à surveiller la sauvagine et les oiseaux marins hivernant le long de la côte. Ces projets visent à faire participer les ornithologues locaux à des efforts de surveillance structurés là où il y a beaucoup d’activités humaines susceptibles de perturber les oiseaux dans leur habitat.

Si vous êtes dans la région et que vous voulez contribuer, consultez les possibilités de recensement sur la page des recensements d’oiseaux aquatiques de NatureNB.

« Il est important d’essayer de couvrir l’ensemble de la province, c’est pourquoi des efforts tels que les enquêtes sur les oiseaux aquatiques du port de Saint John et de Belledune nous aident à suivre les tendances régionales en matière de migration des oiseaux de l’Arctique » – Graham Sorenson

Une histoire de migration complexe

En bref, la migration des oiseaux des climats nordiques vers notre région n’a pas pour seul but d’échapper au froid hivernal. Il s’agit d’une stratégie de survie hautement spécialisée qui dépend de la disponibilité de la nourriture, de la couverture de glace et des conditions de l’habitat.

« Tout est lié à la nourriture, mais il y a deux raisons très différentes pour lesquelles ils se déplacent. Certains descendent vers le sud en raison d’une pénurie de proies, d’autres en raison d’une abondance de proies. Et pour les oiseaux aquatiques, tout dépend de l’endroit où ils peuvent encore trouver de l’eau libre. » – Graham Sorenson

Pour les ornithologues, l’hiver offre une occasion unique d’observer ces incroyables migrateurs du Nord. Il nous offre une fenêtre, aussi petite soit-elle, sur le monde complexe de la migration des oiseaux d’Arctique et de la forêt boréale.

Participez à nos efforts scientifiques communautaires en cliquant sur le lien ci-dessous :

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