Par David Mazerolle
13 JUILLET 2018 — Les êtres humains ont toujours transporté d’autres organismes – plantes, animaux, bactéries ou virus – au cours de leurs voyages. Cependant, notre récente maîtrise des voyages océaniques et aériens fait en sorte que ce mélange du biote du monde se produit à un rythme de plus en plus accéléré.
Une part considérable des espèces sauvages du Nouveau-Brunswick est composée d’arrivants relativement nouveaux, transportés ici de façon intentionnelle ou accidentelle par les mouvements humains. En fait, plus de 30 % des espèces végétales (environ 600!) que l’on trouve actuellement dans la province n’existaient pas ici avant l’arrivée des premiers colons venus d’Europe. Si la plupart des nouveaux arrivants ne survivent pas dans notre climat, certains réussissent à s’établir et quelques-uns parviennent même à prospérer dans leur nouvel environnement, au point de devenir abondants et de se propager dans les zones naturelles, où ils deviennent prédateurs et compétiteurs pour les espèces indigènes, causent des maladies et transforment nos écosystèmes. Ces espèces envahissantes peuvent occasionner des dommages écologiques irréparables et sont considérées parmi les principales menaces à la biodiversité à l’échelle mondiale.
Ceux et celles parmi nous qui surveillent l’état des espèces rares et travaillent pour protéger notre patrimoine naturel savent qu’un nombre considérable d’espèces envahissantes ont déjà eu une incidence profonde dans notre région. Les exemples ne manquent pas. Les maladies causées par les champignons et les insectes non indigènes, comme la maladie hollandaise de l’orme, la maladie corticale du hêtre et le chanvre du noyer cendré, ont changé la composition même de nos forêts. Le nerprun bourdaine, un arbuste d’Europe, se propage de manière agressive dans de nombreux pays, où il prend la place de communautés de plantes indigènes des milieux forestiers et humides. Le crabe européen est maintenant établi dans bon nombre de nos estuaires, où il se nourrit de mollusques et détruit les lits de vallisnérie qui fournissent un abri à de nombreux animaux aquatiques. Certaines espèces particulièrement destructrices se tiennent tout juste de l’autre côté de nos frontières : c’est le cas de l’agrile du frêne, un coléoptère d’Asie qui se propagera sans doute vers notre province au cours de la prochaine décennie et, selon toute vraisemblance, pourrait éliminer nos trois espèces indigènes de frêne.
En tant que moteur de changement de la répartition des espèces, l’intervention humaine directe est presque aussi puissante que les changements climatiques. En effet, on sait que la propagation de certaines espèces envahissantes dans notre province, comme le crabe européen et les tuniciers, a été facilitée par le réchauffement climatique. Bon nombre d’espèces problématiques se trouvant actuellement dans le sud du Québec et en Nouvelle-Angleterre ont été tenues en échec surtout par nos hivers plus rigoureux, mais le réchauffement continu des températures de notre air et de nos eaux permettra sans aucun doute à certaines de ces espèces de s’établir ici et de se propager. Ainsi, nous devons surveiller ce qui se passe au sud dans l’attente de ces futurs envahisseurs.
À l’heure actuelle, les changements climatiques causés par l’humain permettent à certaines espèces indigènes de la NouvelleAngleterre d’étendre leur rayon vers le nord, jusque dans notre province, brouillant ainsi la frontière entre la migration naturelle et l’envahissement par des espèces exotiques. Doit-on considérer ces espèces comme étant un ajout précieux à notre flore et à notre faune? Qu’en est-il de notre engagement envers les espèces et les communautés écologiques rares qui risquent d’être mises encore plus en danger par l’arrivée de ces espèces migrantes ou envahissantes? Le réchauffement climatique opère des change- Naturaliste du NB 12 Dr James P. Goltz Information sur l’auteur : David Mazerolle, Centre de données sur la conservation du Canada atlantique, dmazerolle@mta.ca ments profonds dans la composition et le fonctionnement de nos écosystèmes, changements qui pourraient nous obliger à repenser notre perception du monde « naturel ». La réponse à ces questions, voire la solution à ces problèmes, sera essentielle à notre adaptation aux changements climatiques.
Devant l’ampleur de la situation, il est difficile de l’envisager de façon positive. Mais il y a de l’espoir : plus le public est sensibilisé à la situation, plus les organismes fédéraux et provinciaux renforcent leur engagement, plus les ONG environnementales mènent des activités de surveillance et de contrôle, et plus on a accès à de nouveaux outils de détection et de contrôle. À l’échelle locale, la mise sur pied récente du Conseil des espèces envahissantes du Nouveau-Brunswick offre une autre lueur d’espoir.