Naturaliste du N.-B. en vedette : Améliorer notre compréhension des moules d’eau douce au Nouveau-Brunswick
De Kerstyn Dobbs et Sarah Cusack
Les moules d’eau douce sont des bivalves qui habitent la zone benthique des écosystèmes d’eau douce, mais on les trouve le plus souvent dans les rivières et les lacs. Historiquement, le Nouveau-Brunswick comptait 11 espèces différentes réparties dans toute la province, mais malheureusement, une espèce (l’alasmidonte naine ; Alasmidonta heterodon) a disparu et on ne la retrouve plus nulle part au Canada (COSEPAC, 2000). La figure 1 présente les 10 espèces existantes que l’on trouve actuellement au Nouveau-Brunswick. Ces moules sont très importantes sur le plan écologique pour les systèmes d’eau douce, car elles sont cruciales pour le cycle des nutriments, elles stabilisent les substrats, elles sont une source importante de nourriture et leurs coquilles fournissent un habitat pour les organismes plus petits (Vaughn, 2017).

Bien que les moules d’eau douce soient très importantes pour un écosystème sain, elles sont dans un grave pétrin. Elles sont l’un des animaux les plus menacés en Amérique du Nord, avec environ 65 % des espèces en danger ou déjà éteintes (Haag et Williams, 2014 ; Smith et Johnson, 2020). Ici, au Nouveau-Brunswick, nous avons déjà vu disparaître l’alasmidonte naine et nous avons actuellement deux espèces (lampsile jaune ; Lampsilis cariosa et alasmidonte renflée ; Alasmidonta varicosa) inscrites sur la liste des espèces préoccupantes (COSEPAC 2009 ; COSEPAC 2013). De plus, l’alasmidonte à fortes dents (Alasmidonta undulata) et la leptodée ocre (Atlanticoncha ochracea) sont considérés comme vulnérables au Nouveau-Brunswick (NatureServe 2023). Une espèce, le strophite ondulé (Strophitus undulatus), n’a pas suffisamment de données recueillies pour avoir un statut au Nouveau-Brunswick (NatureServe 2023), mais n’est pas très répandue dans la province. Cela signifie donc que seules cinq des onze espèces historiques présentes dans la province sont considérées comme étant en sécurité. Toutefois, il convient de noter que le Nouveau-Brunswick abrite l’une des seules populations d’anodonte du gaspareau (Utterbackiana implicata) en sécurité en Amérique du Nord (NatureServe 2023) !
Lorsque la plupart des gens pensent aux moules, ils les imaginent à l’état adulte, vivant en liberté et se trouvant au fond de la rivière, ou ils pensent peut-être même à toutes les coquilles qu’ils ont vues échouées sur le rivage d’une rivière. Seriez-vous surpris d’apprendre qu’elles sont en fait considérées comme des parasites pendant une partie de leur vie ? Les moules d’eau douce ont un cycle de vie très intéressant et, à l’état larvaire, elles sont des parasites des poissons (figure 2).

Leur cycle de vie commence par la libération de sperme dans l’eau par les mâles. Comme les moules sont des filtreurs, les femelles ont la capacité de filtrer le sperme de l’eau et de l’utiliser pour fertiliser leurs œufs. Une fois les œufs fécondés, ils sont couvés dans les branchies de la moule femelle jusqu’à ce que les larves soient suffisamment développées pour être relâchées dans l’eau. La plupart des espèces de moules se contentent de relâcher leurs larves dans l’eau en espérant qu’elles rencontreront un poisson, tandis que d’autres créent un leurre (appât) qui attirera les poissons. Lorsque le poisson mord au leurre, la moule libère les larves dans le visage du poisson. Les larves de moules doivent ensuite se fixer sur les branchies ou les nageoires du poisson pour devenir des juvéniles. Une fois qu’elles se sont fixées à un poisson, elles sont appelées glochidies (figure 3). Les glochidies utilisent le poisson non seulement pour se développer, mais aussi pour se déplacer et se répartir dans la rivière ou le lac. Une fois que les glochidies sont devenues des juvéniles, elles se détachent du poisson hôte et s’installent dans le substrat, où elles continueront à se développer pendant quatre ans (Nile et al., 2020). Une fois que les juvéniles ont suffisamment grandi, ils sortent du substrat et deviennent adultes.

À présent, à l’Université du Nouveau-Brunswick à Fredericton (University of New Brunswick – Fredericton), deux laboratoires de recherche travaillent sur les moules d’eau douce. Le laboratoire Duffy (Dr Michael Duffy, Département de biologie) étudie les glochidies (stade larvaire parasite) et l’ADN des moules, tandis que le laboratoire Watershed and Aquatic Research and Monitoring (Michelle Gray, Faculté de foresterie et de gestion de l’environnement) se concentre sur les moules adultes et les habitats dans lesquels elles vivent. Cet été, les deux laboratoires ont fait équipe pour mieux comprendre les moules d’eau douce dans l’ensemble du système de la rivière Wolastoq ?Saint-Jean (W?RSJ), en se concentrant plus particulièrement sur la lampsile jaune.
Kerstyn Dobbs est une étudiante au doctorat du laboratoire Duffy qui étudie les glochidies et l’ADN des moules d’eau douce autour de la province. Elle a séquencé les génomes mitochondriaux de toutes les espèces de moules trouvées dans la province afin de développer des outils moléculaires qui peuvent être utilisés pour déterminer les espèces de moules qui infestent les poissons qu’elle attrape. Elle a déjà identifié les espèces de moules qui utilisent le gaspareau (Alosa pseudoharengus et alose d’été ; Alosa aestivalis) et l’anguille d’Amérique (Anguilla rostrata) comme poissons hôtes. Les espèces de glochidies ont été identifiées à l’aide de l’outil moléculaire qu’elle a mis au point, et cet outil est donc très prometteur pour les applications futures d’identification des glochidies et des moules adultes.
Sarah Cusack est étudiante en maîtrise de gestion environnementale (MScEM) dans le laboratoire Watershed and Aquatic Research and Monitoring (WARM). Elle étudie la répartition des habitats disponibles pour les espèces de moules, en se concentrant particulièrement sur la lampsile jaune ainsi que sur les espèces cooccurrentes. Elle a développé des modèles d’habitat à partir d’ensembles de données historiques sur les moules et a utilisé ces modèles pour prédire où les différentes espèces de moules d’eau douce ont le plus de chances de se trouver. Elle a établi un lien entre la présence des moules et les caractéristiques topographiques qui influencent les différences d’habitat aquatique (à l’échelle régionale). Son projet de recherche combine des techniques de modélisation émergentes avec des relevés traditionnels de moules en apnée afin de fournir une approche holistique pour améliorer la compréhension des moules d’eau douce au Nouveau-Brunswick. Cette recherche nous donnera une meilleure idée de l’habitat qu’occupe chaque espèce et des caractéristiques du paysage qui sont importantes pour créer des caractéristiques clés de l’habitat dans les rivières et les cours d’eau de cette région.
Cet été, ces chercheuses mettent leurs compétences en commun pour mieux comprendre les cycles de vie de ces animaux importants mais menacés. Le laboratoire WARM mène des études sur les moules dans l’ensemble du réseau fluvial afin de mieux comprendre où se trouvent certaines espèces (figure 4A). Le laboratoire Duffy collecte des espèces de poissons sur les mêmes sites afin de déterminer quelles espèces de moules rencontrées libèrent des glochidies à cette période de l’année et de quels poissons elles dépendent (figure 4B). Ce travail est essentiel pour déterminer où se trouvent nos espèces à risque, l’état de leur population et les poissons dont elles dépendent pour achever leur cycle de vie. Ce travail est également nécessaire pour évaluer les populations des autres espèces de moules afin de déterminer si elles devraient faire l’objet d’initiatives de conservation futures. En outre, les données collectées constitueront des données de référence essentielles avant l’invasion inévitable des moules zébrées (Dreissena polymorpha), qui sont connues pour détruire les populations saines d’espèces de moules endémiques, sans parler des espèces en péril (Strayer & Malcom, 2018). Les moules zébrées et leurs impacts ont été observés dans la partie supérieure du Wolastoq (lac Témiscouata, Québec), de sorte que dans les années à venir, elles pourraient commencer à envahir les parties inférieures du Wolastoq.

Remerciements
Nous tenons à remercier tous nos superviseurs, le Dr Michael Duffy, la Dre Michelle Gray et la Dre Meghann Bruce, pour leur soutien et leurs conseils constants. Nous tenons également à remercier nos assistants de recherche et techniciens de terrain pour leur travail acharné et leur persévérance cet été (Abby Lemmon, Allysia Murphy, Anna Varty, Andrew Smith et Prahalad Vathsan). Enfin, nous tenons à remercier nos merveilleux collègues de laboratoire pour leur soutien et leur aide (Darren Greeley, Megan Fraser, Stephanie Scott, Tyler Lynn et Hannah Lazaris-Decken).
Bibliographie
- COSEWIC. 2000. COSEWIC assessment and update status report on the Dwarf Wedgemussel Alasmidonta heterodon in Canada. Committee on the Status of Endangered Wildlife in Canada Ottawa. vi + 18 pp. (http://www.sararegistry.gc.ca/status/status_e.cfm).
- COSEWIC. 2009. COSEWIC assessment and status report on the Brook Floater Alasmidonta varicose in Canada. Committee on the Status of Endangered Wildlife in Canada. Ottawa. vii + 79 pp. http://www.sararegistry.gc.ca/status/status_e.cfm
- COSEWIC. 2013. COSEWIC status appraisal summary on the Yellow Lampmussel Lampsilis cariosa in Canada. Committee on the Status of Endangered Wildlife in Canada. Ottawa. xxiii pp. http://www.sararegistry.gc.ca/status/status_e.cfm
- Haag, W. R., and J. D. Williams. 2014. Biodiversity on the Brink: An Assessment of Conservation Strategies for North American Freshwater Mussels. Hydrobiologia 735(1): 45–60. https://doi.org/10.1007/s10750-013-1524-7.
- Modesto, V., M. Ilarri, A. T. Souza, M. Lopes-Lima, K. Douda, M. Clavero, and R. Sousa. 2018. Fish and Mussels: Importance of Fish for Freshwater Mussel Conservation. Fish and Fisheries 19(2): 244–59. https://doi.org/10.1111/faf.12252.
- Nile, K., E., J., M., Besser, J., Steevens and J., P., Hughes. 2020. Assessment of burrowing behavior of freshwater juvenile mussels in sediment. Freshwater Mollusk Biology and Conservation. 23(1): 68-81. https://doi.org/10.31931/fmbc.v23i2.2020.69-81.
- Smith, C. H., and N. A. Johnson. 2020. A Comparative Phylogeographic Approach to Facilitate Recovery of an Imperiled Freshwater Mussel (Bivalvia: Unionida: Potamilus Inflatus). Diversity 12 (7): 281. https://doi.org/10.3390/d12070281.
- Strayer, D. L., and H. M. Malcom. 2018. Long-Term Responses of Native Bivalves (Unionidae and Sphaeriidae) to a Dreissena Invasion.” Freshwater Science 37(4): 697–711. https://doi.org/10.1086/700571.
- Vaughn, C. C. 2018. Ecosystem Services Provided by Freshwater Mussels. Hydrobiologia 810 (1): 15–27. https://doi.org/10.1007/s10750-017-3139-x.